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[CONFÉRENCE INNOVATION SOCIALE] « Apprendre tu veux, Désapprendre tu dois : la révolution des savoirs ! »

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Le 30 novembre dernier à INRIA, 5 acteurs de la transition éducative étaient invités par inovallée à débattre autour de l’un des grands défis du 21ème siècle : que veut dire apprendre à l’ère du numérique et faut-il repenser notre façon d’apprendre ? Cette conférence participative, qui a rassemblé près de 180 participants, a réuni autour de ce vaste sujet Laurent Lima, du Laboratoire de Recherche sur les Apprentissages en Contexte, Baptiste Vernier cofondateur de la startup Minimento, Marie-Jeanne Trouchaud, conférencière pour la Fondation SEVE, Anca Boboc, sociologue Orange et Renaud Cornu-Emieu, Directeur du Campus numérique. Un débat passionnant, savamment orchestré par Christian Defélix, Directeur de Grenoble IAE et Titulaire de la Chaire Innovation et Capital Humain.

« Qu’est-ce qu’ apprendre ? » : Modes et Mythes en éducation

Pour Laurent Lima, Directeur du département de Sciences de l’Éducation du Laboratoire de Recherche sur les Apprentissages en Contexte, s’il n’y a pas une définition unique de l’apprentissage, on peut considérer l’apprentissage comme un changement dans les capacités ou les comportements d’un organisme, provoqué par l’expérience. Il s’agit donc d’une adaptation au milieu qui permettre des interactions plus efficaces avec l’environnement. Au cours du 20ème siècle, 3 théories psychologiques ont tenté de rendre compte des phénomènes d’apprentissage à l’ère du numérique.

Les 3 principales théories d’apprentissage :

  • Le behaviorisme a mis en évidence les liens entre modification de l’environnement interne ou externe et modification du comportement. Apprendre consisterait donc à créer de nouvelles associations entre des événements et des comportements. Cette théorie permet d’expliquer les phénomènes de conditionnement et d’apprentissage par essai-erreur (Thorndike années 20).
  • Le cognitivismefait l’hypothèse que c’est notre système de traitement de l’information, notre système cognitif qui conditionne nos apprentissages. Il s’agit donc de comprendre comment un individu perçoit les informations de son environnement, comment il peut ajouter et stocker ces informations à ses connaissances en mémoire sous forme de représentation mentale et comment, lorsque nécessaire, il peut retrouver ces informations. Apprendre ce serait créer ou améliorer des représentations mentales.
  • Le constructivisme, marqué par les travaux de Piaget, repose sur le postulat que ce sont nos interactions avec l’environnement qui entrainent une modification de nos structures de connaissances en les rendant de plus en plus générales et de plus en plus efficaces. Le socioconstructivisme (Vygotsky) met l’accent sur le fait que l’être humain étant un être social, les interactions sociales peuvent jouer un rôle déterminant dans la modification de nos structures de connaissances.

Toutefois, ces trois théories de l’apprentissage ne sont pas des théories de l’enseignement et ceux qui ont cherché à en déduire des façons d’organiser les enseignements n’ont pas abouti à des solutions efficaces, même s’il s’agit de dispositifs très utilisés et très valorisés, ce que les chercheurs appellent des mythes éducatifs.

Les mythes de la pédagogie

Pourquoi ces mythes perdurent-ils alors ? « Tout simplement parce qu’en éducation, si on compare une nouvelle forme d’enseignement avec pas d’enseignement du tout, on constate dans 95% des cas que cela fonctionne. Mais bien sûr, ce n’est pas la bonne comparaison : il faudrait faire la comparaison entre deux formes différentes d’enseignement pour savoir celle qui est associée avec le progrès maximal », explique Laurent.
Le premier exemple de mythe éducatif, qui se revendique du cognitivisme, est l’idée qu’il existe des styles cognitifs et que l’enseignement pour être efficace devrait s’y adapter. Parmi les styles les plus connus, il y a l’opposition entre visuel et auditif ou global et analytique (mais aussi entre cerveau droit et cerveau gauche). Les 3 synthèses des centaines de recherches qui ont testé un enseignement adapté aux styles cognitifs indiquent qu’il n’existe aucune preuve empirique qu’apparier l’enseignement avec les styles cognitifs améliore l’apprentissage (Sthall, 99).
Autre mythe lié à l’approche constructiviste cette fois-ci : l’apprentissage par problème. Le principe : pour que les élèves construisent leurs connaissances, il faut les confronter, en petits groupes, à des problèmes qu’ils vont devoir surmonter alors qu’ils n’en connaissent pas encore la solution. L’enseignant dans ce cas est un facilitateur. A nouveau, 9 synthèses de près de 400 études menées dans l’enseignement supérieur, montrent que l’apprentissage par problème est moins efficace qu’un enseignement traditionnel. Il en va de même pour l’apprentissage fondé sur la démarche d’investigation qui met les élèves dans la position d’un scientifique qui mène une recherche.

Les pratiques efficaces en pédagogie

La recherche montre que, s’il n’y a pas de méthode universelle en éducation, certaines, pas forcément celles dont on parle le plus, ont un impact plus important sur les apprentissages que les autres.

  • Permettre aux élèves de s’autoréguler en leur donnant des feedbacks fréquents sur leur réalisation et en mettant en place des évaluations formatives.
  • Leur donner des outils cognitifs (pour penser) à travers l’enseignement de stratégies de résolution de problèmes, l’enseignement de stratégies métacognitives (qui permettent de gérer notre propre fonctionnement cognitif).
  • Favoriser la coopération plutôt que la compétition et avoir des objectifs d’apprentissage ambitieux pour TOUS les élèves.
  • Utiliser une forme d’enseignement direct : découpage du savoir en petites connaissances, des plus simples au plus complexes, qui permettent de nombreuses interactions élève-enseignant et élève-élève, proposant de nombreuses occasions de mettre en œuvre les connaissances apprises préalablement (entraînement).

Pour conclure, Laurent Lima exprime un regret : « Si la recherche produit des résultats convergeant depuis près de 50 ans, ils sont encore peu diffusés et peu connus, y compris des enseignants et des formateurs. Et pourtant, le temps et les moyens consacrés à l’apprentissage sont limités ; il serait préférable de privilégier les méthodes les plus efficaces et d’abandonner celles qui le sont moins. Comme cela a été fait en médecine, il faudrait passer en matière d’enseignement d’une pratique fondée sur l’intuition, la tradition ou l’opinion, à une pratique fondée sur la preuve ! »

De l’importance de l’environnement dans l’éducation

Baptiste Vernier, cofondateur de la startup Minimento, a un parcours éducatif atypique : il a suivi un apprentissage dans une école Montessori jusqu’à l’âge de 10 ans. Baptiste évoque la grande autonomie laissée aux enfants, la diversité des tâches proposées et le rapport à la nature différent. Pour lui, la qualité de l’environnement est primordiale, car l’enfant va répliquer ce qu’il voit ! Autre élément déterminant : le matériel laissé à la disposition de l’enfant, qui lui permettra de se projeter plus rapidement. « Le stress est pour moi une invention ! », ajoute Baptiste, qui se souvient également du calme et de la sérénité qui régnait dans l’école.

Créativité, interactions, droit à l’erreur, confiance : les clés de l’apprentissage ?

Quand Baptiste s’interroge sur ce qui, dans la pédagogie Montessori, a favorisé son esprit entrepreneurial, il répond : « Encourager la créativité, favoriser les interactions avec l’environnement, donner le droit à l’erreur et s’appuyer sur la confiance.  Ce sont les grands principes qui m’ont permis de me construire. Le lien humain était fondamental. Maintenant, je m’en rends compte : il faut un lâcher prise incroyable de l’adulte… Il fallait sacrément faire confiance pour laisser un enfant dessiner des baleines à longueur de journée ! » Mais au final, c’est ce qui a permis à Baptiste d’éveiller sa curiosité et de faire de nombreuses découvertes de manière ludique, développant notamment un intérêt fort pour les spécificités des courants marins…
« Quand je suis arrivé au collège dans un circuit plus classique, on m’a dit : à partir de maintenant, on ne va plus rigoler … j’ai dit, OK, super, ils doivent avoir un plan pour moi ! On m’a fait comprendre que c’est du sérieux le passage au collège, puis qu’en cinquième, on allait étudier une matière de plus avec l’apprentissage d’une nouvelle langue, puis en 4ème, le latin, en 3ème, le brevet, puis le bac, etc. Sauf qu’une fois arrivé à l’université, j’ai constaté qu’ils n’avaient pas vraiment de plan ! ».

Donner accès à tous à un savoir de qualité et… du bonheur !

Baptiste a co-créé, avec Mathieu Verdon, la startup Minimento, dont la vocation est de rendre le savoir accessible à tous à travers des vidéos de 3 minutes environ, qui retranscrivent de manière simple et ludique des contenus complexes. Baptiste et Mathieu œuvrent au quotidien au service d’une belle idée : créer avec leurs Minimento une sorte de Bibliothèque d’Alexandrie, où chacun peut découvrir les meilleures idées de la planète !
« Ce qui me reste aujourd’hui de Montessori, c’est l’intuitivité, la motivation, l’autonomie et la capacité à m’améliorer chaque jour. Aussi, cette envie de redonner du sens à ce qui est fait. La collaboration est également une notion forte qui m’accompagne encore aujourd’hui : j’ai conscience que l’entreprise doit être rentable, mais aussi de l’importance de mener tous les projets en cohésion… Certaines études montrent que la performance des adultes est proportionnelle à la largeur de leur sourire sur leur photo de classe. Pour moi, l’école ne doit pas seulement apporter des compétences, mais aussi du bonheur, lié à la qualité des relations humaines ! »

La philosophie dès l’école pour un nouvel impact sur le monde

D’après Marie-Jeanne Trouchaud, psychologue et conférencière, représentante de la Fondation SEVE, cocréée par Frédéric Lenoir, notre système éducatif est toujours basé sur des méthodes traditionnelles, issu du siècle des Lumières, avec un enseignement au même rythme pour tout le monde, en même temps et dans un esprit de compétition.

Expérimenter le Faire ensemble et la créativité pour rendre l’apprenant motivé et performant

Or notre monde change vite ! « Chez SEVE, nous constatons qu’il faut plus de collaboration, d’adaptation, de vivre ensemble, de communauté de recherche… plutôt que chacun cherche dans son coin », explique Marie-Jeanne. Il devient impératif de permettre à chaque enfant de saisir l’impact de son action sur le groupe, mais aussi que l’enfant comprenne comment il va construire une éthique de collaboration, avoir un impact sur le monde. » C’est pourquoi la fondation SEVE prône la philosophie à l’école : pour apprendre à questionner même les évidences et sortir de ses propres schémas, afin de prendre en compte la diversité des points de vue.

Cultiver la bienveillance et le plaisir d’ apprendre

« Un enfant ou un ado n’est pas un adulte en miniature. Il a des besoins spécifiques, des émotions bien à lui. On ne peut pas exiger de lui les mêmes stratégies d’apprentissage. », ajoute Marie-Jeanne. « Le plus important dans la réussite des enfants est le regard bienveillant que l’on pose sur eux, quelles que soient les méthodes pédagogiques choisies. La créativité sera décuplée grâce à la joie d’apprendre… Dix fois plus que via l’humiliation et les critiques. Les « tu peux mieux faire » sont contreproductifs !
Marie-Jeanne Trouchaud revient aussi sur la notion d’échec et de rebond : « L’enfant doit oser, quand on se plante, on pousse ! Il faut absolument éviter d’étiqueter un enfant comme « mauvais élève » et laisser à chaque individu la possibilité de rêver… Les échecs doivent être compris et non punis. On doit pouvoir donner des méthodologies plutôt que des notes brutes à l’échec. On doit encourager plutôt que générer du stress : un encouragement provoque des hormones capables d’aller se fixer sur les parties du cerveau qui permettront de mieux réfléchir. Et surtout, on doit favoriser la réussite pour développer la motivation et le plaisir d’apprendre ! »

La place du numérique dans la formation professionnelle

Le rythme de l’innovation s’accélère et il devient impératif d’apprendre différemment en entreprise également. MOOC, COOC, Spocs, serious game… Quel est le réel impact de ces dispositifs d’apprentissage dans l’entreprise ? D’après Anca Boboc, sociologue au sein d’Orange, si le phénomène des MOOC prend une réelle ampleur dans l’entreprise, il est néanmoins primordial de ne pas réduire la formation à distance à la simple utilisation des outils numériques : « Le numérique introduit de la distance dans la formation. Il faut absolument rééquilibrer distance et présence, favoriser les interactions sociales dans l’apprentissage », explique Anca.

Des parcours d’apprentissage propres à chaque apprenant

« La formation des formateurs est un enjeu majeur dans cette réussite. C’est pourquoi nous avons mis en place chez Orange un COOC, baptisé Digital Learning pour la formation des formateurs. Ce COOC est composé de vidéos on line, de ressources variées en ligne sur 6-7 semaines et d’un quizz à la fin de chaque semaine. À la fin, il y a un mémoire à rédiger pour relayer les connaissances dispensées.
Mais Anca le note, le taux d‘abandon de ces dispositifs numériques en entreprise est aussi important qu’à l’université : seulement 6% arrive à la fin. « Ce qu’il faut retenir, c’est que chacun construit son propre parcours d’apprentissage pour pouvoir l’appliquer dans des situations de travail. Même si les participants ne vont pas au bout, ils ont appris quelque chose ».
La participation à un MOOC ou un COOC en entreprise peut être motivée par :

  • Le souhait d’actualiser ses connaissances métier
  • La volonté d’acculturation par rapport aux métiers que l’on ne connaît pas
  • Les motivations personnelles (contexte familiale) : un enfant en difficulté par ex.
  • Une injonction managériale

Dimension collective : l’environnement comme facteur de réussite

Le rôle des managers dans la réussite de cet apprentissage numérique est essentiel. Il doit donner du temps, légitimer, organiser les discussions autour de ces connaissances dispensées. Les individus ont tous des contraintes qui varient au sein de l’organisation et une autonomie dans le travail différente. La digitalisation de la formation a donc de forts impacts sur l’entreprise d’un point de vue pédagogique, mais aussi au niveau organisationnel. Des actions commencent à être lancées en interne pour évaluer comment ces facteurs organisationnels contribuent à la réussite de l’apprentissage en ligne. Se pose également la reconnaissance des acquis : comment mesurer les nouvelles compétences acquises ? La globalité de l’environnement doit en effet être prise en compte, pour mesurer le transfert des connaissances dispensées en situation de travail. Pour conclure, Anca rappelle que la digitalisation de la formation peut accroître les disparités : « Il faut donc donner du sens aux modalités d’apprentissage du savoir ».

Vers l’émergence de nouveaux modèles pédagogiques, à la croisée des mondes

La prise de conscience de la nécessité de repenser les modèles éducatifs se fait de plus en forte et de nouvelles écoles, au sein desquelles la créativité prime sur le savoir, voient le jour, à l’instar du campus numérique, dirigé par Renaud Cornu-Emieux. « Le point de départ de l’histoire de The Campus Numérique in The Alpes est un déficit structurel : plusieurs dirigeants d’entreprise, appartenant au mouvement de la French Tech, ont constaté un manque cruel d’informaticiens et décidé de créer une école dédiée à la formation de développeurs. Puis le projet a pris par la suite une autre dimension : former au numérique des personnes cassées par le système, laissées au bord de la route, en mettant en œuvre une multitude de choses.
« Parmi nos étudiants, beaucoup sont passés pas des phases de recherche d’emploi », explique Renaud Cornu-Emieux. « Grâce à des modèles pédagogiques différents, on peut désormais former ce type de profil au développement… L’idée est de monter une pédagogie par projet, notamment à base de cours de théâtre, où l’on donne les moyens aux étudiants de trouver les informations dont ils ont besoin, avec l’accompagnement des enseignants. Les apprenants sont immergés dans cette pédagogie pendant 6 mois, puis ils travaillent en alternance dans une entreprise.

L’entreprise a un rôle majeur à jouer dans la formation numérique

Ce projet de campus numérique a été lancé il y a un an : les premiers étudiants sortiront en avril, ce qui permettra de mesurer la pertinence de ce type de dispositifs éducatifs. Mais pour Renaud, la preuve est déjà quasi établie : « Ce projet est passionnant, car il se situe à la croisée de plein de choses : il répond à un réel besoin des entreprises et a le mérite de ramener des publics fragilisés vers l’emploi. Pour moi, c’est encore une preuve que le numérique peut être créateur d’emploi. Mais il y a un accompagnement à faire auprès des entreprises, qui ont un rôle à jouer dans la formation ».
Renaud est également impliqué dans un second projet : Disrupt’Campus, un dispositif pédagogique innovant qui favorise la mise en situation concrète des connaissances et la transversalité. « L’idée de ce dispositif est d’interagir avec les entreprises et de mettre en place des projets mixant des populations d’étudiants venant d’horizons différents. L’objectif est de faire avancer des étudiants ensemble sur des projets innovants bien précis, mais aussi de les ancrer dans le réel en leur proposant des projets directement liés à des situations de travail concrètes. Les premiers projets sont en cours et inovallée fait d’ailleurs partie des projets pilotes avec son projet de transformation digitale.
En conclusion de ces différents témoignages et des échanges avec les participants dans la salle, on ne « désapprend » pas puisque les apprentissages se superposent et viennent s’enrichir. Mais une chose est sûre, en amenant de l’asynchrone dans les apprentissages, le numérique permet à chacun d’apprendre à son rythme et de créer des parcours personnalisés. Il peut en ce sens être vecteur de la bienveillance nécessaire à la réussite, s’il est accompagné d’une forte dimension collective et… d’un lien humain revalorisé !

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À propos d'Inovallée

Labellisée par Retis, inovallée est une technopole de l’innovation durable située près de Grenoble, au pied des montagnes.

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